La ville aux 50 000 chiens
Bienvenue à Vigo, la ville espagnole la plus dotée en animaux de compagnie. On y a fait une pause, et c’est l’occasion de parler chien.
Chers, chères lecteur.ices
Avant toute chose, mettons cela au point: j’aime les chiens.
Beaucoup. Énormément. Depuis de nombreuses années, je ronge mon frein en attendant de connaître les conditions de vie qui me permettront d’inviter un compagnon à truffe humide dans mon quotidien. J’aurais d’ailleurs adoré en emmener un avec nous sur le chemin.
Pourquoi? Aucune idée, puisque je n’en ai jamais possédé. C’est sans doute « la faute » à des souvenirs d’enfance: Miette, le fox-terrier qui vivait près de chez mes grands-parents en Normandie et que je demandais sans cesse à promener; Arthur, celui de mes autres grands-parents, dont j’admirais le poil ébène et la gentillesse. Et sans doute d’autres encore, ceux de mes ami.es, ceux rencontrés en voyage… Jusqu’à, plus récemment, un coup de cœur pour Fifi, aka la border collie la plus tendre du monde, avec laquelle j’ai partagé de nombreuses balades et moments câlins.
J’aime les chiens, leur manière de vivre chaque moment avec une sorte de joie innée, j’aime leur propension à bouger, sentir, jouer. J’aime leur présence réconfortante. J’aime même leur manière de poser des limites à l’être humain, qui se voit alors contraint d’apprendre un autre langage que le sien.
Et si je vous écris tout cela, c’est pour vous expliquer la raison derrière mon grand intérêt pour une information que Carmen, la tante d’Hugo qui nous a accueillis (comme des rois, j’insiste, parce que je sais qu’elle lit!) plusieurs jours en Galice, nous a donnée au détour d’une phrase: Vigo, ville portuaire d’environ 300 000 habitant.es, compte plus de chiens que d’enfants.
Au début, j’ai ri.
Et puis, j’ai observé. J’ai lu. Et j’ai vu.
En vingt ans, le nombre d’animaux de compagnie à Vigo a fait un bon d’environ 80% selon la presse espagnole, et 90% d’entre eux sont des chiens. Bien sûr, le phénomène ne pouvait aller sans conséquence (ou aubaine?) économique: chaque rue compte sa clinique vétérinaire, son salon de toilettage et son magasin d’alimentation spécifique. Les chiens de Vigo ont même leurs plages réservées (et pourquoi pas puisqu’ils sont tout bonnement interdits sur de nombreuses plages européennes…).
Il n’y a qu’à regarder. En se promenant dans les rues, il ne s’écoule (en moyenne) même pas deux minutes sans qu’apparaisse, sur le trottoir d’en face ou sur celui que nous foulons, un, deux ou trois chiens différents. Il y a de tout: des jack russels ou des bichons minuscules qui sortent du coiffeur - certains arborant même de petits sweat-shirts roses d’un goût douteux - des labradors traînant la patte, des bergers-allemands fringants, des lévriers athlétiques, des petits shiba distraits et quantité d’autres membres de l’espèce Canis aux origines croisées.
Pourquoi cette ville en particulier est-elle devenue un repère à toutous? Je suis absolument navrée, mon enquête sur la question n’a pas abouti… Seule une petite phrase d’un article de El Español apporte un semblant (flou) de réponse: « Au niveau national, la Galice s’est convertie en référence sur ce marché. Dans la communauté galicienne, de nombreuses initiatives entrepreneuriales sont en liens avec le bien-être animal et beaucoup d’entre elles ont proliféré dans la ville de Vigo ».
Bon. Soit.
Mais quelque chose d’autre me chiffonne. Une triste caractéristique relie (presque) tout ce bestiaire, tout comme elle progresse parmi l’espèce humaine dans le monde: le surpoids. En est-on arrivés au point de nourrir nos chiens comme nous nous nourrissons nous-mêmes? C’est-à-dire, trop, et sur base de nos émotions plutôt que de notre raison? Ces chiens, probablement en majorité élevés dans des appartements, ne s’exercent-ils pas suffisamment?
Sans doute.
Et que cela dit-il de notre rapport aux animaux, et plus largement, au vivant? Eh bien, beaucoup de choses.
Voyez-vous, cette dernière semaine, nous avons été gâtés par Carmen qui nous a portés par monts et par vaux à travers une Galice rurale dont nous n’aurions aperçu que des bribes en restant sur le chemin. Après tout, c’était aussi un objectif de ce long périple: passer du temps de qualité avec nos familles, nos ami.es et découvrir mieux nos régions d’origine.
Nous avons donc navigué entre océan et collines vertes (très vertes), forêts de chênes et d’eucalyptus (toujours…), vieux villages de pierres blondes, stations thermales. Et durant l’une de ces escapades, nous avons été chercher des œufs chez une cousine dont le mari élève vaches et moutons pour la viande. Et qui dit moutons dit… chien de travail ! J’aurais bien kidnappé - dognappé? - cette jeune chienne de 8 mois que j’ai couverte de gratouilles.
A huit mois, cette petite border collie apprend déjà son « métier », celui qui consiste à diriger les moutons selon les ordres du berger. C’est-à-dire que dans cet environnement, outre le fait qu’elle est aussi un chien de famille, elle remplit une fonction. Et en dehors de ces heures, elle vagabonde dehors à son gré.
Je n’écris pas cela pour dire qu’il y a de bonnes et de mauvaises raisons de posséder un chien. J’écris pour rappeler que ces animaux si fidèles ont, de très longue date, été à nos côtés pour nous assister dans la vie de tous les jours, et pas simplement pour faire office de peluches.
À ce sujet, je vous suggère vraiment le podcast d’Arte « L’amour Wouf » de la série « Vivons heureux avant la fin du monde ». Il m’a (ré)ouvert les yeux et a amené plusieurs pistes de réponse quant à « pourquoi prenons-nous des chiens en ville? ».
L’une d’entre elles est, presque évidemment, le fait que l’on vive toujours plus seul.es et que l’on se sente toujours plus seul.es même entouré.es de monde. Alors, certain.es comblent le manque avec des jeux vidéos, des relations virtuelles et d’autres choisissent un chat, un chien, un canari… Le chien ayant pour avantage cette dévotion inconditionnelle à « son » maître, dispensant ce dernier de faire des efforts particuliers pour se montrer digne de cette affection (oui, je fais là une généralité).
Une autre piste, plus anthropologique, rappelle que l’être humain a toujours eu une tendance à s’occuper non-seulement de sa propre progéniture, mais également de celle des autres espèces. C’est l’anthropologue Charles Stépanoff qui développe cela dans ses recherches et c’est, entre autres, pour cette raison que chiots (et chatons) ont autant de succès sur les réseaux sociaux (je sais que vous savez que je sais ;).
Et puis, enfin, il reste la plus intéressante (et la plus dérangeante, sans doute) explication développée dans le podcast: l’animal de compagnie demeure le dernier bastion de « nature » auquel on peut accéder lorsque l’on vit dans un environnement bétonné, aseptisé. La seule « option » pour entrer en contact avec un être vivant différent de nos propres semblables, lorsque ne subsiste qu’un petit buisson décoratif entre deux places de parking.
Et si j’écris que cette piste est dérangeante, c’est parce qu’elle nous met face à un dilemme: comment pouvons-nous désirer à ce point le contact avec un animal, lui fournir de l’affection, le traiter comme un bébé, et dans le même temps, fermer les yeux sur les conditions de détention et de mort des autres, ceux que l’on mange tous les jours ? Ceux qui, comme par hasard, sont incompatibles avec les espaces urbains.
Je vous laisse méditer.
Et… J’y pense plus encore depuis que je suis tombée sur une série de clichés du photographe Ross Tylor à propos du deuil des chiens et des chats « The hardest day ». Il a capturé les moments de tristesse, voire de détresse, des propriétaires au moment d’endormir leur compagnon à quatre pattes. C’est beau, c’est laid en même temps, c’est profondément déchirant. Et pourtant… et pourtant. C’est un constat. Il y a deux poids deux mesures en Occident. C’est, bien sûr, moins le cas dans un pays comme l’Inde qui a fait de la vache un animal sacré et où le chien ne se mange pas mais n’est pas non-plus un animal de compagnie fréquent
Que faire de tout cela ? Eh bien, y réfléchir un peu avant adopter son compagnon pour les dix à quinze prochaines années, ou alors en profiter pour repenser son rapport à celui que nous possédons déjà (puisqu’il s’agit bien d’une possession mais…c’est encore un autre chapitre!) et se demander: mais en fait, pourquoi ai-je désiré un chien?
Voilà. J’espère vous avoir du donné du grain à moudre. Je n’entame pas le débat sur le « pour ou contre manger de la viande? »… Je n’en ai pas le courage. Si vous êtes arrivé.e jusqu’ici, c’est que vous aussi, vous aimez les chiens… ou alors que vous m’aimez beaucoup (merci).
Ci-dessous, vous trouverez (quand même!) quelques nouvelles liées au voyage et à la reprise de la marche après cette semaine bien reposante.
À bientôt !
Marion
P.S Je répare ici une injustice: j’aime tout autant les chats! Eux, je n’ai pas attendu d’avoir « les conditions cadres » pour les faire entrer dans ma vie, et j’ai peut-être eu tort. Mais ils sont là, maintenant, et je les adore, tout différents des chiens qu’ils soient (merci, au passage, à toutes les personnes qui se relaient pour en prendre soin durant notre absence!).
Je ne peux pas vous laisser sans citer quelques « croquettes » que nous avons eu la chance de goûter durant cette pause (oh combien nécessaire pour mes pieds désormais guéris):
La découverte de la Ribeira Sacra, avec un tour en bateau sur la rivière Sil et son canyon impressionnant où pousse… de la vigne! Pour celles & ceux qui connaissent le Lavaux, autant dire qu’ici, on gagne un cran dans le spectaculaire, il y a même des rangs de vigne dans des couloirs d’éboulement...
Les pétoncles (zamburiñas), les huîtres, les moules, le poisson.. c’est trop bon !
Les vues sur la baie de Vigo et les îles Cíes depuis le Monte Alba où nous sommes grimpés un matin, au soleil, et retournés pour notre dernière soirée.
La rencontre avec un monsieur évangéliste qui avait vécu en Suisse et qui, sous couvert de nous offrir un café, voulait nous expliquer que nous devions croire en Jésus pour être sauvés. Un joli moment malgré tout.
Et si tout va bien, jeudi, nous serons à Santiago!







Bonne continuation 🤗